O
mois des floraisons
mois des métamorphoses
Mai qui fut sans nuage
et Juin poignardé
Je n'oublierai jamais
les lilas ni les roses
Ni ceux que le
printemps dans les
plis a gardés
Je
n'oublierai jamais
l'illusion tragique
Le cortège les cris
la foule et le soleil
Les chars chargés
d'amour les dons de la
Belgique
L'air qui tremble et
la route à ce bourdon
d'abeilles
Le triomphe imprudent
qui prime la querelle
Le sang que préfigure
en carmin le baiser
Et ceux qui vont
mourir debout dans les
tourelles
Entourés de lilas par
un peuple grisé
Je
n'oublierai jamais les
jardins de la France
Semblables aux missels
des siècles disparus
Ni le trouble des
soirs l'énigme du
silence
Les roses tout le long
du chemin parcouru
Le démenti des fleurs
au vent de la panique
Aux soldats qui
passaient sur l'aile
de la peur
Aux vélos délirants
aux canons ironiques
Au pitoyable
accoutrement des faux
campeurs
Mais
je ne sais pourquoi ce
tourbillon d'images
Me ramène toujours au
même point d'arrêt
A Sainte-Marthe Un général
De noirs ramages
Une villa normande au
bord de la forêt
Tout se tait L'ennemi
dans l'ombre se repose
On nous a dit ce soir
que Paris s'est rendu
Je n'oublierai jamais
les lilas ni les roses
Et ni les deux amours
que nous avons perdus
Bouquets
du premier jour lilas
lilas des Flandres
Douceur de l'ombre
dont la mort farde les
joues
Et vous bouquets de la
retraite roses tendres
Couleur de l'incendie
au loin roses d'Anjou
Le
Crève-coeur, 1941
Louis ARAGON
(1897-1982)
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